La profession d'avocat à l'ère du digital |
Legaltech : de quoi parle-t-on ?
De leur nom complet "Legal Technologies" (technologies juridiques), les legaltech désignent à l'origine les technologies mises au service du droit. Par extension, elles font référence aux start-up qui exploitent ces technologies afin de réaliser des prestations juridiques.
Les noms de ces start-up ne vous sont probablement pas inconnus, tant celles-ci sont présentes sur la toile : il s'agit de Captain Contrat, Legalstart, LegalVision ou encore Demander Justice, pour ne citer que les plus connues.
Les prestations proposées varient d'une legaltech à l'autre, on peut notamment citer :
- la recherche de documents juridiques,
- le stockage et la génération automatique de documents juridiques,
- la communication de pièces par voie électronique lors de procédures,
- la mise en relation avec des avocats via une plateforme (ex : Captain Contrat),
- l'analyse de contrats et de données,
- ou encore l'analyse de décisions de justice à des fins prédictives.
Ces prestations reposant sur une automatisation quasi complète des process, les délais de réalisation sont considérablement réduits et les prix proposés défient toute concurrence. L'humain n'intervient en effet qu'en cas de besoin, pour vérification. Naturellement, le client doit également renseigner en amont les informations nécessaires à la réalisation des prestations.
Concernant les technologies actuellement utilisées ou en développement, on peut notamment identifier :
- les technologies LAD/RAD et OCR/IRC, qui permettent la lecture et le traitement automatique des documents,
- la blockchain et ses 3 principales applications : transferts d'actifs, registre ou stockage avec traçabilité et surtout les smart contracts,
- l'intelligence artificielle et le deep learning,
- ou encore l'exploitation du Big Data et le machine learning.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, certaines technologies ne datent pas d'hier. Et si leurs noms peuvent sembler un peu "barbares", beaucoup d'entre elles - comme les smart contracts - reposent sur un principe simple que l'on pourrait résumer par cette condition : "if... then", comprenez "si... alors". Une formule qui doit parler aux utilisateurs d'Excel !
Si jusque-là vous vous demandiez comment une matière aussi complexe que le droit pouvait être automatisée, maintenant vous comprenez mieux le "pourquoi du comment" : le droit est peut-être complexe, mais il est très "carré" et c'est précisément ce qui le rend automatisable. Ainsi, chaque règle de droit et ses implications peuvent être représentées dans un organigramme.
Concernant les technologies actuellement utilisées ou en développement, on peut notamment identifier :
- les technologies LAD/RAD et OCR/IRC, qui permettent la lecture et le traitement automatique des documents,
- la blockchain et ses 3 principales applications : transferts d'actifs, registre ou stockage avec traçabilité et surtout les smart contracts,
- l'intelligence artificielle et le deep learning,
- ou encore l'exploitation du Big Data et le machine learning.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, certaines technologies ne datent pas d'hier. Et si leurs noms peuvent sembler un peu "barbares", beaucoup d'entre elles - comme les smart contracts - reposent sur un principe simple que l'on pourrait résumer par cette condition : "if... then", comprenez "si... alors". Une formule qui doit parler aux utilisateurs d'Excel !
Si jusque-là vous vous demandiez comment une matière aussi complexe que le droit pouvait être automatisée, maintenant vous comprenez mieux le "pourquoi du comment" : le droit est peut-être complexe, mais il est très "carré" et c'est précisément ce qui le rend automatisable. Ainsi, chaque règle de droit et ses implications peuvent être représentées dans un organigramme.
Un exemple simple d'automatisation : calcul des droits d'enregistrement sur une cession d'actions |
Premier contact entre avocats et legaltech : la guerre des mondes
Si leur business model était initialement orienté vers le BtoB (= clientèle d'entreprises), les legaltech se sont également positionnées sur le BtoC (= clientèle de particuliers). Au final c'est bien au marché des professions réglementées du droit que ces start-up s'attaquent, au premier rang desquelles la profession d'avocat.En effet, certaines professions réglementées sont "moins concernées" par le risque de perte de clientèle. C'est le cas notamment des notaires, des huissiers ou encore des greffiers des tribunaux de commerce car ce sont des officiers publics. A ce titre, ce sont les seuls à pouvoir établir des actes authentiques, c'est-à-dire des actes revêtant certaines caractéristiques (force probatoire, force exécutoire etc) et qui sont requis pour certaines opérations. Les legaltech ne peuvent donc se positionner sur ce créneau, à tout le moins tant que la loi restera inchangée sur ce point (on peut se demander si le développement de la blockchain ne risque pas de faire bouger les lignes). Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que ces professions ne sont pas concernées par le développement des legaltech. En effet, certaines technologies présentent un intérêt certain pour ces dernières.
En outre, abstraction faite de la concurrence des legaltech, les avocats spécialisés dans le conseil subissent également la concurrence d'autres professions du droit - notamment celle des notaires - mais aussi du chiffre (experts-comptables). A cet égard, les premières prestations concernées sont celles relevant du droit des sociétés, du droit fiscal et du droit social.
Mais la profession d'avocat subit aussi et surtout "sa propre concurrence" : avec plus de 65 000 avocats (soit 1 pour 1 000 habitants) et 3 000 élèves-avocats sortant chaque année des centres de formation, le marché semble arriver à saturation. Cette "concurrence interne" à la profession - qui est en fait une concurrence "normale" pour le commun des mortels - est un élément moins présent pour les titulaires d'offices ministériels (ex : huissiers et notaires, qui sont également des officiers publics, mais aussi les avocats au conseil ou encore les commissaires-priseurs), dans la mesure où les effets du numerus clausus qui s'appliquait jusqu'à la loi Macron devraient perdurer quelques temps.
Dans ce contexte et compte tenu de la réactivité qu'on lui connaît, le Conseil National des Barreaux (CNB) n'a pas tardé à se lancer dans une croisade contre les legaltech.
On se souvient de la dernière affaire en date, ou plutôt "des dernières affaires" qui se sont déroulées entre 2012 et 2017 : accusée notamment d'enfreindre le monopole des avocats, la start-up Demander Justice a essuyé pas moins de 5 actions introduites par le CNB et l'Ordre des Avocats de Paris (au pénal et au civil). Elles se sont toutes soldées par un échec : les instances ordinales ont été déboutées à chaque fois.
Demanderjustice.com est un site proposant diverses prestations juridiques. En particulier, celui-ci propose à ses clients internautes des formulaires-types de mise en demeure ou de saisine de certaines juridictions : celles devant lesquelles la représentation par un avocat n'est pas obligatoire (tribunal d'instance, juridiction de proximité ou conseil des prud'hommes).
Pour le CNB et l'Ordre des Avocats de Paris, cette prestation constitue une infraction aux dispositions de la loi du 31 décembre 1971 sur le monopole des avocats (voir l'article 54 de la loi). Pour rappel, les activités de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé relèvent du monopole des avocats. Il en va de même, naturellement, concernant la représentation devant un tribunal (art. 4 de la loi précitée). La loi de 1971 prévoit d'ailleurs une peine d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende en cas d'exercice illégal de la profession d'avocat (art.433-17 du code pénal, par renvoi des articles 66-2 et 72 de la loi précitée).
En l'espèce, la start-up était notamment accusée (i) de réaliser illégalement des consultations en raison du fait qu'elle emploie des juristes et (ii) d'exercer illégalement une activité d'assistance et de représentation en justice. Le CNB et l'Ordre des Avocats de Paris reprochaient également au site internet sa "dénomination trompeuse". Mais les conclusions successives soumises aux juges n'ont visiblement pas résisté à l'examen.
Dans le dernier arrêt de la "saga" en date du 21 mars 2017 et en substance, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette les pourvois formés par le CNB et l'Ordre des Avocats de Paris aux motifs :
- que les actes litigieux sont établis par le client lui-même au travers des informations qu'il renseigne et valide de son propre chef, de sorte que le rôle de la société Demander Justice se limite à une simple assistance matérielle,
- que les actes litigieux comportent sa seule signature, et en tout état de cause ne comportent aucune mention relative à la société Demander Justice de sorte qu'aucun mandat tacite ne peut être déduit desdits actes,
- qu'aucune des prestations réalisées par la start-up n'est susceptible de constituer l'assistance juridique que peut prêter un avocat à son client (note : au sens de la loi du 31 décembre 1971).
On comprend donc que le premier contact entre la profession d'avocat et les legaltech - sorte de "rencontre du 3ème type" - a été pour le moins... mouvementé, et en tout état de cause révélateur d'un choc culturel entre une profession millénaire et des start-up tournées vers l'avenir qui commencent tout juste à écrire leur histoire.
Vers une collaboration pacifique : l'avocat de demain, avocat 2.0 ?
Malgré un premier contact plutôt "belliqueux", avocats et legaltech ont aujourd'hui tendance à se rapprocher en vue d'une collaboration plus pacifique. En témoignent les différents événements réunissant ces deux mondes (ex : le Village de la Legaltech), les déclarations de part et d'autres ou encore l'établissement d'une charte éthique commune. Une telle collaboration est tout à fait possible (et souhaitable) dès lors qu'elle se base sur une valeur faisant consensus chez les deux parties en présence : l'intérêt du client.
Avocats et legaltech ont tout à gagner à travailler ensemble |
Les avocats ont sans doute compris qu'ils avaient tout à gagner à collaborer avec les start-up du droit : si celles-ci peuvent a priori être perçues comme une menace pour la profession, elles sont aussi et surtout source d'opportunités.
Chez LegiStrat, nous avons également cette lecture. En outre, nous sommes convaincus qu'il vaut mieux accompagner le changement plutôt que de le subir ou pire : de "pédaler à contre-courant". De leur côté les legaltech ont également intérêt à collaborer avec les professionnels du droit, clients potentiels et créateurs de confiance.
Ainsi, les legaltech peuvent aider les avocats à dégager du temps et à se focaliser sur des missions à forte valeur ajoutée pour le client. Il convient de préciser que les technologies dont il est question ne permettent pas simplement d'établir des actes juridiques "simples", elles peuvent également permettre de simplifier les tâches administratives chronophages pour l'avocat et que l'on a trop tendance à oublier : facturation, relances, tenue de la comptabilité etc.
Il est évident que l'avènement des legaltech va faire évoluer la profession d'avocat, mais la question est : à quel point et sous quels délais ?
A très court terme, la profession ne devrait pas ressentir d'évolution notable si ce n'est une collaboration renforcée avec les start-up du droit sous forme :
- de partenariats : certaines legaltech travaillent déja main dans la main avec des avocats en tant qu'apporteurs d'affaires via leurs plateformes ;
- de sous-traitance : dans ce cas ce sont les avocats qui jouent le rôle d'apporteurs d'affaires.
Sont pour le moment concernés uniquement les actes juridiques "simples", dont la rédaction ne pose pas de difficultés particulières (ce qui ne veut pas dire qu'il ne sont pas importants). Entrent ainsi dans cette catégorie les procès-verbaux d'assemblée générale, les mises en demeure ou encore les statuts sociaux (sans oublier les recherches juridiques pour les tâches plus complexes). L'avantage est que les professionnels du droit peuvent ainsi consacrer davantage de temps à des missions à plus forte valeur ajoutée pour le client, à savoir des prestations nécessitant l'intervention de l'esprit humain (non substituable).
Mais la technologie évolue vite, saviez-vous par exemple que :
- la start-up Predictice a mis au point un outil de "justice prédictive" permettant de calculer vos chances de gagner un procès et les indemnités auxquelles vous auriez droit : pour ce faire, elle analyse en quelques secondes la jurisprudence relative à la problématique soumise et met en évidence les éléments de fait et de droit les plus pertinents.
- la start-up Case Law Analytics a mis au point un outil similaire, mais orienté "droit social" et plutôt du côté de l'employeur (celui-ci calcule aussi les chances qu'un licenciement soit qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le montant des indemnités).
- COIN ("Contract Intelligence") est un programme utilisé par la banque JP Morgan : il permet d'analyser et d'interpréter les accords de prêts commerciaux, tâche qu'il réalise en quelques secondes contre 360 000 heures de travail par an pour le personnel... et avec un taux d'erreur moindre.
Les exemples sont nombreux, on pourrait par exemple citer le legal bot (robot juriste) américain Ross. Cependant le but n'est pas de cataloguer toutes les legaltech en développement, mais de mettre en évidence le fait que celles-ci évoluent à vitesse grand V et peuvent prendre en charge même les tâches les plus complexes.
Alors quel est l'avenir de l'avocat à long terme ? La profession est-elle vouée à disparaître ? Non, bien entendu... mais à évoluer, très certainement.
Sur le plan "macroéconomique" tout d'abord, au niveau quantitatif il faut s'attendre à une diminution du nombre d'avocats : l'augmentation du nombre d'avocats étant bien supérieure à la croissance du marché, cela semble inévitable. L'IA, comme d'autres technologies, remplacera l'homme pour les tâches les plus répétitives (que ce soit dans les cabinets ou dans les entreprises). Mais le phénomène risque fort de s'étendre aussi aux tâches plus complexes, que ce soit dans le domaine du conseil ou du contentieux.
Ensuite concernant l'évolution des fonctions mêmes, deux hypothèses complémentaires :
- Les avocats devront innover et identifier des nouveaux besoins chez leurs clients : de l'identification de ces nouveaux besoins découleront de nouvelles prestations, potentiellement non prises en charge par les entreprises. La révolution digitale affectera les particuliers comme les entreprises, de sorte que ces nouveaux besoins émergeront nécessairement.
- Les avocats devront acquérir de nouvelles compétences, à commencer par la maîtrise des nouvelles technologies, mais aussi développer une stratégie comme toute entreprise. Car n'oublions pas que l'avocat n'est pas seulement avocat : c'est avant tout un entrepreneur !
Bien que certaines formations spécifiques aient été mises en places, comme le D.U. Transformation Digitale du droit & Legaltech de Paris I, il est temps que les universités sensibilisent leurs étudiants sur la transformation digitale que connaissent les professions du droit. Car les étudiants d'aujourd'hui seront les professionnels de demain !
Adrien VAGINAY | Droit et Stratégie des Entreprises
- la start-up Predictice a mis au point un outil de "justice prédictive" permettant de calculer vos chances de gagner un procès et les indemnités auxquelles vous auriez droit : pour ce faire, elle analyse en quelques secondes la jurisprudence relative à la problématique soumise et met en évidence les éléments de fait et de droit les plus pertinents.
- la start-up Case Law Analytics a mis au point un outil similaire, mais orienté "droit social" et plutôt du côté de l'employeur (celui-ci calcule aussi les chances qu'un licenciement soit qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que le montant des indemnités).
- COIN ("Contract Intelligence") est un programme utilisé par la banque JP Morgan : il permet d'analyser et d'interpréter les accords de prêts commerciaux, tâche qu'il réalise en quelques secondes contre 360 000 heures de travail par an pour le personnel... et avec un taux d'erreur moindre.
Les exemples sont nombreux, on pourrait par exemple citer le legal bot (robot juriste) américain Ross. Cependant le but n'est pas de cataloguer toutes les legaltech en développement, mais de mettre en évidence le fait que celles-ci évoluent à vitesse grand V et peuvent prendre en charge même les tâches les plus complexes.
Alors quel est l'avenir de l'avocat à long terme ? La profession est-elle vouée à disparaître ? Non, bien entendu... mais à évoluer, très certainement.
Sur le plan "macroéconomique" tout d'abord, au niveau quantitatif il faut s'attendre à une diminution du nombre d'avocats : l'augmentation du nombre d'avocats étant bien supérieure à la croissance du marché, cela semble inévitable. L'IA, comme d'autres technologies, remplacera l'homme pour les tâches les plus répétitives (que ce soit dans les cabinets ou dans les entreprises). Mais le phénomène risque fort de s'étendre aussi aux tâches plus complexes, que ce soit dans le domaine du conseil ou du contentieux.
Ensuite concernant l'évolution des fonctions mêmes, deux hypothèses complémentaires :
- Les avocats devront innover et identifier des nouveaux besoins chez leurs clients : de l'identification de ces nouveaux besoins découleront de nouvelles prestations, potentiellement non prises en charge par les entreprises. La révolution digitale affectera les particuliers comme les entreprises, de sorte que ces nouveaux besoins émergeront nécessairement.
- Les avocats devront acquérir de nouvelles compétences, à commencer par la maîtrise des nouvelles technologies, mais aussi développer une stratégie comme toute entreprise. Car n'oublions pas que l'avocat n'est pas seulement avocat : c'est avant tout un entrepreneur !
Bien que certaines formations spécifiques aient été mises en places, comme le D.U. Transformation Digitale du droit & Legaltech de Paris I, il est temps que les universités sensibilisent leurs étudiants sur la transformation digitale que connaissent les professions du droit. Car les étudiants d'aujourd'hui seront les professionnels de demain !
Adrien VAGINAY | Droit et Stratégie des Entreprises
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