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Pourquoi intégrer le droit à la stratégie d'entreprise ?

Legistrat intégrer le droit à la stratégie d'entreprise
Intégrons le droit à la stratégie d'entreprise

Pourquoi intégrer le droit à la stratégie d'entreprise ?

De la question "pourquoi intégrer le droit à la stratégie d'entreprise ?"  découlent deux interrogations : en quoi les entreprises ont-elles intérêt à associer leurs juristes à leur stratégie ? et pourquoi les juristes de demain devraient-ils accepter ce rôle, et donc s'aventurer au-delà de leur domaine de compétences ?

De l'intérêt des entreprises à intégrer les juristes à leur stratégie

Le droit est souvent perçu comme une contrainte par les entreprises, cela est symptomatique du poids que représentent les nombreuses obligations légales auxquelles elles doivent se conformer. Cependant, le droit n'est pas seulement une source de menaces : c'est également une source d'opportunités, d'où l'intérêt d'intégrer les juristes à la stratégie d'entreprise.

A l'heure actuelle, certaines entreprises associent déjà les juristes à leur stratégie. Mais il s'agit essentiellement de gérer le risque juridique, on parle de "risk management". C'est un premier pas vers l'intégration du droit à la stratégie des entreprises, certaines d'entre elles considérant qu'il existe un lien entre performance et conformité avec la loi ("compliance").

Néanmoins il convient d'aller plus loin : le droit peut être utilisé comme un véritable levier de performance, un outil au service de la création de valeur. Celui-ci peut même être source d'avantages concurrentiels pour une entreprise.


Legistrat iceberg du droit en entreprise
Le volet risk management constitue seulement la face émergée de l'iceberg

Un exemple probant est celui d'une chaîne de restauration bien connue : Pizza del Arte. Rachetée au groupe Accor par le groupe Le Duff (note : Kamps, Brioche Dorée...) en 1995, l'enseigne a connu un essor important notamment grâce à une utilisation novatrice du contrat de franchise. Cela a permis de transformer de simples succursales en entités juridiques autonomes avec à leur tête des indépendants (note : les franchisés), mais toujours sous enseigne Pizza del Arte. C'est donc tout un business model que l'entreprise a du remettre à plat ! On voit là le lien étroit pouvant exister entre droit et performance économique.

Cependant, l'intégration des juristes à la stratégie des entreprises ne se limite pas à l'instrumentalisation du droit : ces dernières auraient également beaucoup à gagner à intégrer pleinement leurs juristes dans la gestion de leurs parties prenantes ("stakeholders")En particulier, les juristes sont bien placés pour dialoguer avec les institutions - telles que le parlement français ou européen, l'organisation internationale de normalisation (normes ISO) etc - concernant l'élaboration de nouvelles normes ou le contenu de certaines normes qui sont déjà en cours d'élaboration ou déjà en vigueur. Nécessairement intéressé mais (véritablement) entretenu sur la base de valeurs socialement responsables, il s'agirait d'un dialogue à mi-chemin entre le lobbying et le think tank : une démarche qui nous semble nécessaire, compte tenu notamment du contexte actuel de transformation digitale.

Mais les juristes pourraient également s'avérer déterminants dans la communication externe des entreprises, notamment dans le cadre des crises affectant l'image d'une marque. A cet égard on se souvient de la communication peu audible de Ferrero, concernant le "rush" de clients sur les produits de la marque Nutella dans les enseignes du groupe Intermarché. Si le groupe italien s'est désolidarisé assez tôt de l'initiative prise par Intermarché d'appliquer une promotion "un peu trop" exceptionnelle sur son produit phare, l'image de la marque en a tout de même pâti. Tout ce que l'opinion a retenu, en substance, c'est "dumping sur les prix, rendu permis par l'importance de la marge habituellement pratiquée par Ferrero".

Contrairement à sa campagne publicitaire en réponse au scandale de l'huile de palme, la communication de Ferrero dans cette affaire ne semble donc pas avoir atteint sa cible : peu importe que le groupe soit ou non à l'initiative de la promotion réalisée sur le produit (en l'espèce, ce n'est pas le cas), ce qui compte pour l'image d'une marque est moins la réalité des faits que les croyances du client à l'égard de la marque. Une action de communication incluant les juristes du groupe aurait ainsi pu être envisagée dès le premier jour de la médiatisation de l'affaire, ceci afin d'exclure toute responsabilité de Ferrero et donc d'anticiper les critiques

Naturellement, le juriste peut également être amené à communiquer lorsque son entreprise connaît une procédure judiciaire médiatisée (ex : cas Lactalis) et à réaliser toute autre mission nécessitant une expertise juridique. 

Là où le bât blesse, c'est que la prise en charge de telles missions par les juristes suppose que ces derniers s'aventurent au-delà de leur domaine de compétences. Or, les juristes - notamment les plus jeunes - ont bien souvent une approche très juridique et pas assez orientée "business".

Legistrat think tank stratégie juristes

De l'intérêt des juristes de demain à ne pas se limiter à une approche "juridico-juridique"

On aurait pu conclure en se bornant à dire que compte tenu de ce qui précède, les juristes ont tout intérêt à adopter une approche allant au-delà du seul domaine juridique. Mais il nous paraissait important de mettre le doigt sur un sujet sensible : la formation.

Comme tous les étudiants en droit, chez LegiStrat nous sommes passés par la "case fac de droit". Et nos observations nous ont conduits à dresser un constat inquiétant : les étudiants ont souvent une vision purement "juridico-juridique" des problématiques, assez déconnectée des autres dimensions entrant en ligne de compte. Il faut dire que le système universitaire - et c'est particulièrement vrai en droit - ne favorise pas spécialement l'ouverture, mais entraîne au contraire un certain "formatage" des étudiants.

Ce constat est d'autant plus inquiétant que les professionnels du droit de demain ont tout intérêt à maîtriser des compétences autres que juridiques. Il n'empêche qu'une partie des étudiants souhaitant travailler avec les entreprises se pose néanmoins des questions : ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers des formations complémentaires - notamment dispensées dans les écoles de commerce ou dans les IAE - afin de s'imprégner d'une vision plus proche de celle des entreprises.

A ce propos, nous avons justement été contactés par un étudiant il y a peu :


Qu'on se le dise, la réponse à cette question est non : un passage par la "case école de commerce" n'est nullement obligatoire. Cependant, ce genre d'initiative permet d'assimiler de nouvelles compétences - potentiellement complémentaires au droit - et d'adopter une lecture plus transversale des sujets. Mais encore faut-il que la réalisation d'une telle formation soit le fruit d'une véritable motivation interne et s'inscrive dans un projet bien défini !

Ce à quoi notre interlocuteur a répondu :


Sa réponse résume à elle seule notre propos ! A ce sujet, une étude réalisée en 2016 par l'EDHEC et le Business & Legal Forum - en partenariat avec le prestigieux cabinet GIDE LOYRETTE NOUEL - a attiré toute notre attention. Intitulée "Le droit et les juristes, vus par les dirigeants et les opérationels", cette étude a été menée en recueillant l'avis de plus de 200 dirigeants et opérationnels venus de tous horizons (TPE-PME, ETI et grands groupes) concernant les juristes et le droit en général. A défaut d'être suffisamment représentatif pour établir des statistiques générales, le panel permet toutefois de dégager des tendances.

En substance, il ressort de cette étude que les juristes sont perçus ainsi : "risk averse" (réticence face à la prise de risques), pas "business oriented" (ne sont pas orientés business), pas de vision globale, obtus, trop conformistes, enfermés dans une tour d'ivoire.

Au-delà de leur caractère critique, ces défauts que l'on prête aux juristes sont intéressants car ils nous donnent des pistes d'amélioration afin d'être en phase avec les besoins des entreprises. Bien évidemment, le panel n'a pas été sondé que sur les points négatifs !

Ainsi, les juristes se distinguent également par les qualités suivantes : partenaires de confiance, compétents, professionnels, rigoureux, pragmatiques, font preuve d'éthique.

D'une manière générale, les juristes ont une image de plus en plus positive (= sont moins dans leur "microcosme"). A l'instar des fonctions RH, ils sont désormais perçus comme des "business partners". Il ressort néanmoins de l'étude qu'il serait souhaitable que les services juridiques mettent en place des indicateurs (indicateurs-clés de performance ou "KPI"), à l'instar des autres services. De son côté, le droit est perçu de plus en plus comme revêtant un caractère stratégique.

Chez LegiStrat, on considère que le droit est un moyen et non une fin en soi. En d'autres termes, on ne fait pas du droit pour faire du droit mais pour atteindre un objectif précis. Or en entreprise, il s'agira non seulement de sécuriser les opérations mais aussi de contribuer à la création de valeur en intervenant au niveau stratégique : cela suppose du juriste une capacité à adopter une vision transversale des problématiques, et non pas centrée uniquement sur la technique juridique.

Enfin plus généralement, une partie des étudiants a désormais conscience que le monde du droit est actuellement en pleine mutation. En effet, au-delà des velléités de réformes qui planent sur les professions judiciaires, les métiers du droit sont amenés à évoluer en raison notamment du développement de certaines technologies (intelligence artificielle (IA), blockchain etc) et de l'arrivée des legaltech sur le marché du droit.

Ces évolutions technologiques vont modifier en profondeur la pratique du droit et ce, jusque dans les services juridiques des entreprises. Les nouveaux outils assureront la gestion automatique des tâches aisément programmables (généralement les plus répétitives, mais pas seulement), incitant de ce fait les juristes à se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. Notamment, il leur sera demandé de réaliser des tâches non (encore) substituables par un programme automatisé ou une intelligence artificielle : celles nécessitant l'intervention de l'esprit humain.

Cet élément - qui vient s'ajouter aux observations qui précèdent - postule lui aussi pour une orientation plus "business", plus stratégique des juristes. Cette posture semble être acquise ou en phase d'être acquise par les juristes expérimentés, expérience du terrain oblige. En revanche, tel ne semble pas être le cas des juristes les plus jeunes : le système universitaire y contribue largement, celui-ci étant déconnecté du monde du travail. Malgré tout certaines formations semblent sortir du lot, c'est par exemple le cas des Masters en alternance ou des doubles cursus en droit des affaires et management (note : certains diplômes sont décernés par des écoles de commerce, comme l'EDHEC). On ne peut qu'espérer que ces initiatives tendront à se généraliser dans un avenir proche.

Adrien VAGINAY  |  Droit et Stratégie des Entreprises

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